Comment prévenir l’épuisement professionnel dans votre organisation ?

i 3 Sommaire

Le stress est une réaction de l’organisme qui active des hormones (catécholamines et glucocorticoïdes) ayant notamment pour fonction d’augmenter la fréquence cardiaque, la pression artérielle, la circulation sanguine, et d’apporter du glucose aux principaux organes. Cette réaction permet de répondre à des épreuves, elle est donc déclenchée lorsqu’une personne perçoit un déséquilibre entre les contraintes qu’exige une situation et ses ressources pour y faire face.

Tout comme la colère ou la peur, le stress est utile à l’être humain, mais lorsqu’il occupe trop de place et s’inscrit dans la durée, il a des effets sur la santé physique et mentale, sur les interactions, la communication, la motivation et sur les capacités cognitives. Pour l’organisation, il impacte la productivité puisqu’il entraîne une désorganisation et peut occasionner des tensions au sein des équipes. Il peut aussi engendrer des coûts liés au recrutement et à la gestion de l’absentéisme. Il peut aussi se percevoir sur la qualité de service aux clients/patients/usagers.

Selon l’INRS, l’épuisement professionnel, également appelé burn-out, est un « syndrome consécutif à un stress professionnel chronique dans lequel la dimension de l’engagement est prédominante ».

Alors comment le prévenir dans votre organisation ?

I. Pourquoi l’humain se surinvestit-il ?

La psychologie, et plus particulièrement l’analyse transactionnelle, donne des indications sur certaines injonctions qui poussent les personnes à s’investir et diminuent leur capacité à « être », au sens de s’écouter soi-même et de lâcher prise. Taibi Kahler (1970) a mis en avant 5 drivers qui sont des injonctions intériorisées dans l’enfance, souvent transmises implicitement par les figures d’autorité (parents, enseignants, etc.) :

  • Sois fort
  • Fais plaisir
  • Sois parfait
  • Fais des efforts
  • Dépêche-toi

Bien que ces injonctions soient utiles pour s’investir dans le travail et dans la société, lorsqu’elles prennent trop de place, elles font perdre en efficacité et peuvent limiter la capacité à :

  • Écouter et exprimer ses émotions (burn-out soudain)
  • Demander de l’aide ou déléguer
  • Faire preuve d’assertivité pour dire « non » sans culpabiliser
  • Simplifier le travail
  • Anticiper et prioriser
  • Mettre sur pause

II. Des perceptions différentes de la valeur du travail renforçant les déséquilibres

On constate une évolution de la place du travail au fil des générations et depuis le COVID. Les générations X ont vu la toute première hausse du chômage à une époque où il était possible d’accéder à un statut en fournissant des efforts et en étant fidèle à son employeur. La génération Y, première à avoir vu les deux parents travailler, l’arrivée des nouvelles technologies, et pour qui les licenciements de masse ont été une réalité, a introduit la notion de bonheur et de bien-être au travail avec l’idée que le travail doit avoir du sens et permettre d’être heureux. Cette tendance s’est largement renforcée avec la génération Z, bercée dans la mouvance de l’éducation positive, l’accès à l’information en masse et au « tout, tout de suite », qui cherche surtout la fidélité à soi-même, avec l’idée que le travail doit permettre la liberté d’exprimer son authenticité et de vivre pleinement le moment présent.

Le COVID a marqué un tournant dans la représentation du travail. Non que le travail n’ait aucune valeur, mais il devient davantage utilitaire. « Le travail, c’est la santé » est à corriger : le travail doit respecter la santé et le bien-être. La qualité de vie au travail n’est plus un luxe que certains peuvent s’offrir, elle devient une nécessité.

Alors comment faire dans un monde du travail de plus en plus contraint et où il faut être performant pour rester dans la course ? Ces évolutions, si elles ne sont pas prises en compte par les directions, entraînent des clivages au sein des équipes. Chacun reportant la faute sur l’autre. Certains « se mettent » en arrêt, d’autres compensent l’absence, voire se surinvestissent tant que leur corps ne les arrête pas brutalement. Les tensions au sein des collectifs sont exacerbées, ne permettant pas un soutien qui pourrait opérer sur le stress. Au contraire, le manque de cohésion impacte lourdement la perception du stress au travail.

III. Repérer les facteurs de stress

Pour comprendre sur quoi axer la prévention de l’épuisement professionnel, faut-il encore comprendre quelles en sont les causes. Pour cela, plusieurs modèles ont permis de mettre en avant l’importance de l’autonomie et de la reconnaissance.

Le modèle de Karasek et Theorell (1979-1990) met en avant le fait qu’une personne reste dans un travail sain malgré de fortes exigences tant qu’elle a un bon niveau de contrôle de son activité et du soutien de la hiérarchie et de ses collègues.

Selon le modèle de Siegrist (1990), le surengagement est une réponse à un déséquilibre entre les efforts fournis et les récompenses. C’est une attitude où la personne s’investit de manière excessive dans son travail, souvent par souci de performance ou de devoir, ce qui peut la pousser à négliger son bien-être. Ce surengagement peut augmenter le risque d’épuisement professionnel, car la personne n’arrive pas à lâcher prise.

IV. La gestion individuelle du stress

Lazarus et Folkman (1984) ont développé les stratégies de « coping », c’est-à-dire de quelle manière la personne peut gérer son propre stress. Ils expliquent que face à une situation perçue comme stressante, la personne adopte une stratégie qui est soit :

  • Centrée sur le problème : augmenter son contrôle sur la situation ou lâcher prise en réduisant ses exigences (ce qui est une autre manière de reprendre le contrôle sur ce qui est possible).
  • Centrée sur le soutien : pour permettre d’obtenir de l’aide et de prendre de la hauteur sur la situation.
  • Centrée sur l’émotion : il s’agit ici de réduire le niveau d’adrénaline et de cortisol en compensant avec d’autres hormones dites « du bonheur » pour envoyer un autre message au corps (dont le cerveau). Prendre l’air, marcher, boire de l’eau, faire une sieste ou se coucher tôt, manger, rire, écouter de la musique, faire du sport, des exercices de respiration, de méditation ou de yoga, sortir avec des amis ou sa famille, s’exprimer par l’art, chanter (ou hurler dans sa voiture)…

V. La prévention du stress par l’organisation

Pour prévenir l’épuisement professionnel et améliorer le bien-être au travail, l’organisation doit agir à trois niveaux de prévention :

  • Primaire : agir sur les causes
  • Secondaire : agir sur les effets
  • Tertiaire : agir sur les conséquences

A. Prévention primaire

Contrôle/autonomie :

  • S’assurer de la compréhension des objectifs de travail, des tâches et des procédures. En apporter le sens.
  • Adapter la charge et le rythme de travail aux personnes par l’évaluation de la charge de travail, le recrutement. À défaut, par la réduction des exigences (ex : augmenter les délais, réduire la quantité).
  • Adapter les moyens matériels aux objectifs et besoins des personnes
  • S’assurer de l’adéquation des compétences par rapport aux objectifs
  • Clarifier les règles sur le partage de l’information : où ? quand ? comment ? Notamment l’usage des mails.
  • Donner la possibilité aux salariés de s’exprimer sur les dysfonctionnements qu’ils repèrent et de proposer leurs solutions
  • Apporter de la flexibilité sur l’organisation du travail et des horaires, et adapter les plannings en conséquence.
  • Informer régulièrement les salariés sur la stratégie et la marche de l’entreprise. Prévoir un recueil des questionnements et des réponses de manière à ne pas laisser de flou.
  • Former le personnel à l’introduction de nouveaux outils.
  • Organiser les locaux en fonction des tâches.
  • Pour les lieux recevant du public, adapter l’attente et sécuriser l’accueil.

Soutien/reconnaissance :

  • Donner la possibilité aux salariés d’utiliser et de développer leurs compétences.
  • Reconnaître les résultats ainsi que les efforts par des feed-backs positifs, feed-backs constructifs et la rémunération.
  • Avoir des procédures de reconnaissance transparentes et équitables.
  • Former les managers pour leur permettre d’être confortables dans leur rôle.
  • Structurer les réunions pour qu’elles soient régulières et pertinentes.
  • Prévoir des points individuels réguliers pour construire des relations de confiance et éviter aux managers d’être perçus comme présents uniquement pour recadrer.
  • Faire preuve de « courage managérial » au sens de poser un cadre de fonctionnement et de savoir-vivre, et le faire respecter.
  • Se doter d’une politique de qualité relationnelle au travail et de lutte contre l’agressivité et les violences au travail, promouvoir la cohésion et recadrer quand nécessaire.
  • Organiser des espaces et temps d’échanges conviviaux.
  • Clarifier et communiquer sur le rôle de chacun dans la prévention du stress au travail.

B. Prévention secondaire

  • Former et sensibiliser sur la gestion du stress et des émotions.
  • Former et sensibiliser sur la gestion de l’agressivité, des conflits et des violences au travail.
  • Former et sensibiliser sur la communication assertive.
  • Adapter les locaux pour les rendre plus ergonomiques, lumineux et chaleureux.
  • Faciliter l’accès à l’eau et aux repas.
  • Prévoir des lieux pour faire la sieste ou se reposer.
  • Mettre en place des groupes d’analyse de pratiques ou séances de co-développement.
  • Mettre en place la médiation interne ou externe pour désamorcer les situations de tension et résoudre les conflits.
  • Proposer des séances de relaxation, yoga, sophrologie, méditation…
  • Faciliter l’accès à une activité sportive.

C. Prévention tertiaire

  • Faciliter l’accès à du soutien psychologique.
  • Proposer des ateliers diffusing et debriefing après un événement traumatisant
  • Faciliter l’accès à des séances de kiné, ostéopathie et autres médecines agissant sur les troubles musculosquelettiques.
  • Mettre en place un service d’infirmerie sur place.
  • Prévoir une politique de lutte et d’accompagnement contre les addictions

D. Le retour des personnes après un burn-out

Beaucoup de personnes quittent une organisation suite à un burn-out. Pour ceux qui reprennent le travail dans la même organisation, il est capital de préparer leur retour avec un temps d’échange sur leurs besoins. L’objectif est de veiller à ce que leurs conditions de travail, leurs relations et l’organisation de leur travail permettent une situation équilibrée.

Il est aussi conseillé de prévoir un suivi durant les premiers mois. La médecine du travail peut être sollicitée en ce sens.

De même, le manager a un rôle clé pour fédérer l’équipe et faciliter l’écoute et l’expression pour que chacun exprime ses besoins et ses limites, et adapter l’organisation et les relations en conséquence. Il ne doit pas attendre avant de célébrer le retour de la personne au sein de l’équipe.

La performance nécessite de promouvoir la confiance dans les organisations, à travers un management à l’écoute, cadrant et soutenant, un accompagnement RH de qualité, un climat social positif, et la prise en compte de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, sans quoi l’épuisement professionnel, les tensions et les violences gagneront du terrain.

Miser sur la prévention du stress et la QVCT, c’est investir dans la productivité et la qualité de service.